Environ 14h30... Le secrétariat m'appelle: "Melle Meringue est à l'accueil". Tout à coup, ma mémoire se réveille. C'est vrai, Carolina devait passer.
C'est mon dernier jour de travail. J'ai déménagé et je vis trop loin maintenant. Pas le choix, je dois quitter ce travail afin d'en trouver un autre dans ma ville.
Mais bon, un dernier jour, c'est beaucoup de travail.
Une journée ce n'est pas du tout assez long pour tout finir.
C'est le bordel, à commencer par mon bureau, y'en a partout et même par terre. Je suis dans l'émotion de mon départ, des paroles des collègues, des cadeaux...
Et puis,
je n'ai pas du tout fini mes dernières notes à ajouter à certains dossiers, je dois encore contacter quelques dernières familles afin de ne pas négliger d'être polie et respectueuse en prenant le temps de dire au revoir.
Bref,
je suis affairée à plein de trucs presqu'en même temps.
Du coup, la mistinguette m'était sortie de la tête. Mais je suis bien contente de la revoir une dernière fois.
Une mesure éducative mine de rien, ça crée des liens.
Qu'on le veuille on non, entrer dans l'intimité des gens, ça améne à se connaitre.
Si je pars sereine c'est parce que je sais que dans nos interventions, si un changement doit se produire, il ne sera jamais immédiat.
Après un an à côtoyer Carolina, son frère et leur maman, certaines façons d'intéragir entre eux ont évoluées même si tout est loin d'être réglé.
Nous avons échangé au cours de nos rencontres sur la difficulté pour certains enfants d'avoir confiance en eux.
Parfois même en l'adulte.
Un enfant ça teste qui on est et comment on va se comporter envers eux.
Le problème c'est que, quand certains ont expérimentés jeunes, une histoire de vie douloureuse,
c'est plus compliqué de faire confiance et de se sentir en sécurité avec les autres.
Souvent, c'est à l'école que ça commence par exploser.
Les relations aussi à la maison peuvent devenir compliquées.
Alors avec Madame, Carolina et Brian, on a essayé de comprendre ce qu'il se passait.
ça n'a pas été facile, certaines urgences étaient à affronter.
Le renvoi de Carolina de son collège par exemple il y a un an.
Et puis, alors que Carolina semble s'apaiser, se sentir plus sereine dans son établissement, faire moins parler d'elle,
douze mois plus tard, une menace d'exclusion pour Brian.
Pourquoi?
Pour Carolina, on a un peu compris.
Un gros manque de confiance en soi et un fort besoin d'être rassurée par sa maman.
Ce n'était pas facile pour Madame de le comprendre car Carolina lui exprimait par de l'agressivité, en défiant son autorité.
Madame, en stupeur face aux réactions de sa fille, en retour, entrait également dans de l'agréssivité.
Elle pouvait alors parfois tenir des propos très durs envers Carolina,
ce qui réactivait et confirmait chaque fois, l'image mauvaise qu'elle se faisait déjà d'elle même.
Finalement, la dernière fois que nous nous sommes vu, nous avons conclut que Brian aujourd'hui,
demandait peut-être la même chose que sa soeur il y a un an.
Madame me racontait avoir compris que les punitions sur Carolina ne marchait pas.
Elle passe plus par le dialogue avec elle et leur relation est plus sereine.
Carolina s'est apaisée à la maison comme au collège.
Cependant avec Brian cela reste plus compliqué. Pour l'instant il refuse d'échanger avec elle.
Comment faire?
Madame m'a dit qu'elle allait essayé de passer plus de temps avec Brian.
Très affairée par son travail, elle n'est pas toujours disponible.
Bref, j'ai tout ça en tête quand je passe la porte pour me rendre à l'accueil voir Carolina.
En la voyant, je percute ce que sa mère m'a dit. Carolina a changé. Rien a voir avec il y a un an. Elle semble plus prendre soin d'elle. Elle semble mieux avec elle même.
C'est comme si je ne m'en rendais compte que maintenant. Pourtant, je l'avais déjà vu.
C'est plus simple de partir en constatant que quelqu'un va mieux.
Evidemment, je dis à Carolina que ça me faiit plaisir de la voir mais que ce n'est vraiment pas la peine.
Je sais qu'elle est venue m'offrir un cadeau.
Sa mère m'a prévenue qu'elle viendrait m'en portait un.
Je devais rappeler la famille pour donner mes disponibilités mais j'ai été tellement débordé la semaine de mon dernier jour, que je n'ai même pas eu le temps de le faire.
Alors Madame qui, pourtant, parfois, avait du mal à répondre à mes appels, qui ne me rappelait pas toujours, qui ne venait pas toujours non plus au rendez-vous,
à ma grande surprise, cette fois-ci,
a essayé de me joindre à deux reprises,
m'a même laissé un message pour m'informer de l'heure et du jour de passage de Carolina.
Mon dernier jour.
Cela semblait important pour eux de m'offrir ce cadeau alors,
malgrè mon: "c'était vraiment pas la peine", j'ai été honnorée de le recevoir.
Tout comme honnorée plus largement de les avoir rencontrés tous les trois.
C'est pas rien tout ce temps qu'on a passé à échanger.
Les soutenir, me plonger au coeur de leur situation m'a amené a pas mal de reflexion sur les rapports humains.
Finalement beaucoup de mesures ou j'ai assisté à des clashs relationnels m'ont amené à cela.
J'ai constaté une chose. Le reproche est improductif voir contre productif. Les reproches ne font qu'amplifier les problèmes.
Souvent, comme cette maman, on peut ne pas comprendre un comportement, se sentir agréssé et vouloir alors se défendre à tout prix, ne surtout pas se laisser marcher sur les pieds, vouloir à tout prix être respecté et en retour répondre à l'agressivité par de l'agressivité.
On peut alors devenir soi même très blessant alors que c'est ce qu'on voudrait voir cesser chez l'autre.
On ne cherche plus alors à comprendre ce que l'agressivité de l'autre pourrait avoir comme sens.
Souvent, derrière l'agressivité se cache un besoin insatisfait et pas forcémment une volonté de nuire à l'autre.
Ne pas être dans le reproche permet à l'autre de pouvoir plus aisément s'exprimer. Ce qui n'empêche pas de devoir poser des limites à ses enfants.
Nous avons pris le temps de discutter cinq minutes, assises, à l'accueil.
Carolina ne saurait pas trop si la mesure lui a apporté quelque chose. Elle dit qu'elle a changé ses comportements parce que le juge lui a dit de se calmer. L'école ça va mieux.
J'ai ouvert les cadeaux. Elle m'a montré comment m'en servir. C'était chouette.
Nous avons continué à discutter un peu, de tout de rien, puis,
lorsque Carolina s'est dirigée vers la porte,
j'ai réalisé que nous venions de nous dire adieu.
Je regrette de ne pas avoir offert de cadeau à Brian et Carolina.
Un jeu de société par exemple pour que toute la famille puisse jouer ensemble.
Ils auraient mérité cette attention.